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Quand la mort survient, que dire à son enfant ?

Axelle Huber est coach thérapeute, spécialisée dans l’accompagnement du deuil et des aidants. Ayant perdu précocement son mari Léonard – l’aînée de leurs quatre enfants avait alors neuf ans – elle publie aujourd’hui « Le deuil, une odyssée. Vivre après la mort d’un proche ». Avec délicatesse et sans langue de bois, l’auteure donne des clefs et des pistes concrètes pour accompagner un proche touché par un deuil.

Bonjour Axelle Huber, pourquoi ce titre « l’odyssée du deuil » ?

L’odyssée , c’est d’abord une aventure, et dans le cas de la mort d’un proche, il s’agit d’une aventure vers ses terres intérieures… Quand on est en deuil, dans la souffrance, on se transforme, on lâche des peaux mortes, on se dépouille pour renaître… et c’est difficile, comme une odyssée ! Il s’agit aussi d’un processus inconscient, avec des impacts physiques (perte d’énergie), intellectuels (difficulté à se concentrer), sociaux (relation à l’autre malmenée) et spirituels (pourquoi la mort ?). C’est une traversée très inconfortable, surtout que dans ce voyage, on passe par plusieurs ports émotionnels.

Quelles sont ces émotions ?

D’abord il y a le choc et la sidération où la personne, coupée de ses émotions, souffre peu. Vient ensuite le temps du déni, qui dure en général entre 6 et 10 mois : investie à l’extérieur, la personne est dans la fuite en avant, toujours pour éviter de souffrir. Et puis, il y a la traversée de toutes les grandes émotions, qui apparaît entre 6 mois et 1 an après le décès. C’est le moment le plus difficile, car souvent les proches se sont éloignés, pensant que la personne allait mieux. Ce sont de véritables montagnes russes émotionnelles : colère (contre l’environnement, contre soi…), peur (comment vivre sans mon proche ?), tristesse (engendrée par la confrontation à l’absence). Un pas en avant, deux en arrière, c’est normal et tout le monde passe par là – même si bien sûr chaque deuil est unique.

Donc c’est normal de déprimer après la perte d’un proche ?

Bien sûr ! La société nous pousse à « faire son deuil » très vite… mais il est bien normal de déprimer 1 an après le décès d’un proche, et même jusqu’à 3 ans. Cela dit, il faut s’inquiéter quand la personne est comme coincée dans son deuil, dans un état d’intensité anormalement fort. Pour cela, il faut avoir une vigilance à tous les signaux faibles : appétit, sommeil, relation à l’autre, concentration, symptômes physiques. Et garder à l’esprit que le deuil fatigue et que c’est normal.

Comment accompagner son enfant qui souffre quand on est soi-même submergé par la douleur ?

D’abord se dire que comme parent, je ne suis pas le mieux placé pour accompagner mon enfant… et ce n’est pas grave ! Mais il faut trouver une personne dans son entourage, familial, amical ou professionnel qui nous aide. C’est important aussi de comprendre que les représentations de la mort sont différentes selon l’âge des enfants. Par exemple, entre 3 et 6 ans, celui-ci est dans la pensée magique et l’égocentrisme, il peut donc croire que c’est de sa faute si son grand frère est mort car il a été méchant avec lui…

Que dire alors ?

Aujourd’hui, le rapport à la mort est ambivalent : soit on la met sous le boisseau, soit on en rigole et on nie sa gravité… Aussi, le parent est très important pour expliquer ce qui se passe : la personne, en vrai, est morte, elle ne va pas se réveiller, son corps est tout froid. Il y a donc une règle d’or à respecter : toujours dire la vérité, en s’adaptant à l’âge de l’enfant. Il faut aussi faire attention à écouter au mieux mon enfant, sans projeter ses propres émotions sur lui. Dire par exemple à un enfant : « tu es vraiment très triste » peut être difficile pour lui s’il vit la mort de son frère comme une libération, ce dernier, malade, ayant pris toute la place dans la fratrie ! Ecouter avec son cœur reste encore la meilleure chose à faire.

Et l’enterrement, le cimetière, le crematorium, n’est ce pas trop violent pour un enfant ?

Au contraire ! Les rituels aident à faire le deuil, il est essentiel que les enfants y participent. Les statistiques montrent que, parmi les adultes qui n’ont pas été aux rituels de deuil, beaucoup le regrettent. S’il va à l’enterrement, il va mieux réaliser que, dans la « boîte », il y la personne qu’on a aimée, et c’est très aidant pour un enfant. On peut aussi le faire participer, avec une bougie par exemple… et surtout l’autoriser à être joyeux ! Car l’enfant, s’il est triste dans l’instant, il a ensuite besoin de retourner au jeu, c’est normal. Il est dans la vie, et l’adulte ne doit pas le casser dans son élan vital. Je pense en vous disant ça à ma fille qui a voulu mettre ses chaussures de princesse à l’enterrement de son papa…

C’est beau !

Oui. J’aimerais dire aussi qu’il est essentiel de rassurer l’enfant sur sa culpabilité, et de l’assurer que le bonheur est encore possible. Dans mon livre, il y a une postface signée de nos 4 enfants et ma fille aînée a écrit ces mots : « Au soir de la mort de mon père, notre mère nous a dit : « les enfants, oui votre papa est mort, oui ce n’est pas juste mais je vous promets qu’on va continuer à être heureux », et ça m’a rassurée, c’est ce dont j’avais besoin. »

Certains font un « déni de mort » quand d’autres vivent « avec » le disparu, quelle est pour vous la bonne attitude ?

Faire un « déni de mort », c’est la double peine, c’est le faire mourir une deuxième fois ! Qu’on soit adulte ou enfant, on a besoin de parler du et au proche disparu, et ça rend heureux. Comment ? Le plus souvent, et le plus naturellement possible. Par exemple : « Je parie que ton frère aurait pensé ça ou fait telle blague. » On peut aussi, en famille, chercher des films, photos, musiques que la personne disparue aimait. Enfin, je conseille d’aller au cimetière, les premières années surtout. Personnellement, j’aime beaucoup ce lieu qui pour moi n’est pas triste, mais qui peut faire venir les larmes ! Et le plus grand service qu’on peut rendre à des enfants qui veulent ignorer qu’ils souffrent, c’est les faire pleurer.

Ah bon !

Oui, ce n’est pas machiavélique, mais cela permet que la souffrance soit vécue dans les larmes, au lieu qu’elle implose dans la violence par exemple. D’ailleurs, je conseillerais de s’alarmer d’un enfant qui, après un deuil, semble aller trop bien…

Quels sont les conseils que vous donnez pour aider à passer le cap du deuil ?

Tout ce que je viens de dire sur l’intelligence émotionnelle, sur l’importance du rituel, de l’au-revoir… J’aimerais ajouter aussi l’importance de s’appuyer sur ses proches, leur demander de l’aide, par exemple pour aller chez les notaires, faire des papiers, cuisiner… C’est peut être le plus difficile. Aussi, face à l’individualisme du « sois autonome, sois indépendant », il nous faut créer une société d’interdépendance. Nous devrions d’ailleurs élever nos enfants dans ce mouvement du « je donne et je reçois » pour, plus tard, être capable d’accepter de l’aide…

La vie peut-elle vraiment revenir ? Car la mort engloutit tout sur son passage non ?

La mort n’a pas de sens, mais l’odyssée devient sens, et le chemin se fait en marchant… Par le travail de deuil, je me transforme, et petit à petit je découvre et fais mien l’« l’héritage » spirituel laissé par mon proche. Chez nous, en famille, nous avons découvert celui de Léonard qui nous accompagne au quotidien : « Si je ne peux plus marcher, je courrai. Si je ne peux plus parler je chanterai. Si je guéris, on continue. Si je ne guéris pas on continue aussi »…

Axelle Trillard

Axelle Huber a écrit un premier livre : « Si je ne peux plus marcher, je courrai ». Pour en savoir plus sur les accompagnements : https://www.axellehuber.fr