Lucia est la maman heureuse de deux petites filles de 6 et 4 ans. Initiatrice et coordinatrice de l’Enquête « Donnons la parole aux mères » en 2020-2021, elle est aujourd’hui doula et animatrice d’ateliers dans les écoles. Espagnole, elle vit forcément la maternité… avec passion ! A l’occasion de la Fête des Mères, elle a bien voulu répondre à nos questions.
Bonjour Lucia, pouvez-vous vous présenter ?
Bien sûr ! Je m’appelle Lucia Mestre, je suis espagnole et je vis à Majorque. J’ai fait des études d’histoire de l’art à la Sorbonne, puis j’ai travaillé à Paris dans une grande maison de vente aux enchères comme spécialiste en tableaux anciens. Je suis aussi maman de Clara (6 ans) et Inès (4 ans). Professionnellement, en raison du confinement, des naissances des enfants, des congés parentaux et de notre déménagement, je suis en train de me réinventer. Ayant été suivie par une doula pour la naissance de l’une de mes filles, je le suis devenue ! Et je propose des ateliers d’histoire de l’art dans les écoles. C’est très enrichissant, d’autant plus que l’art est ma passion. Je suis donc en train de retrouver un équilibre avec deux enfants qui ont deux ans d’écart… mais la conciliation entre ma vie de maman et ma vie pro reste difficile !
Qu’y-a-t-il de si difficile dans cette conciliation ?
Pour ma première fille, les choses se sont plutôt bien passées. Je rappelle que pour ma génération, nous avons cette certitude en nous : « ce n’est pas parce qu’on est maman qu’on arrête de bosser ». J’ai donc posé un congé parental court pour reprendre le boulot rapidement. Et j’ai eu la chance de trouver un bon mode de garde. Je partais le matin à vélo à Paris pour faire un boulot passionnant en laissant mon bébé à une formidable nounou ! Que rêver de mieux ? Malgré ça, j’ai trouvé que c’était très dur, ne me sentant ni une bonne maman, ni une bonne professionnelle ! J’ai fini épuisée, en burn-out… Aussi, pour la naissance de notre deuxième fille, j’ai posé un congé parental plus long ! J’en ai conclu que la vie des mamans du 21ème siècle était difficile – puisque même en étant privilégiée j’avais eu de grosses difficultés – et ce parcours personnel m’a donné envie de me battre pour les autres mamans !
Vous battre, pourquoi ?
Me battre contre les diktats de la société ! Car la société attend des mères qu’elles travaillent comme si elles n’avaient pas d’enfant et qu’elles élèvent leurs enfants comme si elles ne travaillaient pas ! J’ai également pris conscience du manque de considération envers la maternité et les mères en général. Pourtant, tout le monde sait que si Maman va bien, Bébé va bien. Ce devrait donc être la préoccupation de toute la société de prendre soin des mères, car ainsi on prend soin des citoyens de demain…
Et alors, qu’avez-vous fait ?
J’ai bien sûr voulu créer une association pour mettre en valeur les mères, et là une amie m’a parlé de MMM (Make Mothers Matter) *. J’ai pris contact avec eux, et j’ai proposé de lancer un grand questionnaire : « Donnons la parole aux mères », en lien avec le travail du gouvernement sur « Les 1000 premiers jours ». Il faut savoir que cette convention avait lieu en raison de l’enjeu économique qui s’y rattache. En effet, si on investit 1 euro dans cette période, on fait des économies de 6 euros ensuite. Ce questionnaire a permis de recueillir la parole de 22 000 mères, de montrer combien notre société a des progrès à faire dans la prise en charge des mères et de faire des propositions concrètes. Cela a d’ailleurs beaucoup de sens puisque cette période de notre vie – les 1000 premiers jours – est la base de notre santé pour le reste de notre vie, on le sait aujourd’hui scientifiquement. Et pourtant, la France et de nombreux pays d’Europe continuent d’obliger la mère à une séparation d’avec son bébé à 3 mois et ½ alors que le tout-petit est souvent encore allaité et a un grand besoin de sa maman. Pourquoi donc la France ne s’inspire-t-elle pas de pays où ce temps est respecté et où pourtant l’économie ne s’est pas écroulée ?
Vous semblez dire qu’il n’est pas si facile d’être maman ?
Oui, je trouve qu’être en permanence avec ses enfants et tout gérer, c’est dense ! Et comme j’ai vécu les début de la maternité avec passion, je me suis beaucoup donnée à la naissance des filles. Cela n’a pas été facile de faire abstraction des injonctions, d’écouter mon ressenti de mère et une certaine sagesse « innée » qui vient de plus loin que moi. J’aimerais dire pourtant qu’il est très important de s’écouter quand on est une maman. Ce n’est pas facile, car la parole et le ressenti des mères sont peu écoutés, considérés. Pourtant, je crois qu’il y a un instinct maternel ! Je lui ai toujours fait confiance, même si j’ai dû parfois me battre pour certains choix… qui étaient d’ailleurs les bons ! Et je ne le regrette pas.
Qu’aimez-vous dans la maternité ?
C’est une aventure passionnante, d’une intensité incroyable ! La maternité me fait grandir, me rend meilleure. Je suis devenue plus empathique… Il y a aussi une conscience écologique qui s’éveille, car j’ai envie de laisser un monde meilleur à mes enfants ! J’aime aussi beaucoup ce rôle d’accompagner les filles vers là où ils ont envie d’aller, c’est tellement enrichissant… et puis, elles nous le rendent bien. J’aime aussi la remise en question permanente que demande la parentalité. En ce moment, nous avons des conversations passionnantes à table tous les quatre… Et puis j’aime leurs rires, leurs câlins ! Bien sûr, je ne suis pas une maman parfaite, je m’énerve mais je fais de mon mieux, et je reconnais mes erreurs … En fait, la maternité demande un très grand dévouement et la société ne nous prépare pas à cela.
Pour vous être mère, c’est quoi ? En quoi le rôle des mères est-il irremplaçable ?
Aimer. Soutenir. Accompagner. Câliner. Se remettre en question. Oui, c’est tout ça à la fois ! Et vous me demandez en quoi une maman est irremplaçable ? Je pense que c’est biologique, que nous avons une « connexion » unique avec notre enfant… Je me souviens d’un jour où j’étais à la maison avec ma petite fille. Elle était malade et voulait absolument être avec moi. Pourtant sa nounou était là, et elle l’appréciait énormément – elle dit même qu’elle la préfère à moi ! Mais ce jour-là, ma fille avait besoin de sa maman, c’était physique. J’ai donc fini par installer un petit matelas dans mon bureau pour elle… Ce lien à la mère est viscéral, et comme dit la sagesse populaire, tout le monde meurt avec le nom de sa mère dans la bouche…
Et les papas ?
Leur rôle est immense ! Pendant la grossesse et les 1ers mois, Papa est là pour soutenir la bulle « Maman-Bébé ». C’est une période où le tout-petit a surtout besoin de sa maman, c’est comme ça. Alors le père les protège en quelque sorte… même si cela ne l’empêche évidemment pas de tisser un lien avec son bébé. Mais je trouve que les pères ont encore des efforts à faire ! Je suis d’une génération qui a grandi dans un fort sentiment d’égalité homme-femme, et nous nous prenons toutes une grosse claque avec la naissance de nos enfants car d’un seul coup tout nous retombe dessus ! Aujourd’hui, quand papa et maman travaillent à l’extérieur, le reste du quotidien doit être divisé de manière égalitaire, et c’est rarement le cas. Résultat : les mères ressentent beaucoup d’injustice. Je dirais aussi que le rôle du papa est important car « il faut un village pour élever un enfant ». Autrefois, il y avait toujours quelqu’un (tante, mère, cousine…) auprès de la jeune mère, elle ne se retrouvait jamais toute seule. Heureusement, il y a des propositions qui voient le jour, comme par exemple les « Cercles Mamans-Bébés ». Mais dans les faits, le village n’existe plus et les papas jouent donc aussi parfois ce rôle…
Propos recueillis par Axelle Trillard
Photo : Pascal Brocheton